Écrire une chronique qui « dit vrai » sans tomber dans le jargon de spécialiste : voilà un art qui me tient à cœur. J’ai appris, au fil des écoutes et des concerts, qu’on peut être précis, sincère et utile sans ressembler à un lexique académique. Voici ma méthode, ce que je fais dans chaque chronique et quelques astuces pour que vos phrases sonnent juste — même si vous n’êtes pas ingénieur du son ou musicologue.

Pourquoi éviter le langage d’expert ?

Parce que votre lecteur n’est pas forcément venu chercher une masterclass technique, il veut une porte d’entrée. Il veut comprendre pourquoi il devrait lancer l’album, aller au concert ou fermer l’onglet. Le rôle d’une chronique n’est pas d’épater par des termes obscurs, mais de transmettre une expérience d’écoute. J’ai vu trop de textes où le vocabulaire technique remplace l’émotion : résultat, on perd le lecteur.

Ce que je fais avant d’écrire

Je n’écris pas après une seule écoute. Je laisse une chanson me surprendre, puis je la réécoute pour repérer ce qui revient, ce qui évolue. Pour un album complet, je procède souvent en trois temps :

  • Écoute « première rencontre » — ne pas prendre de notes, juste ressentir.
  • Écoute analytique — noter les morceaux qui accrochent, les passages récurrents, les textures sonores.
  • Écoute contextuelle — lire la bio, écouter un extrait live, vérifier quelques dates ou influences si nécessaire.
  • Parfois j’utilise Bandcamp pour les crédits, Spotify pour la fluidité d’écoute, et Reaper ou Audacity si je veux isoler un passage (rarement utile pour une chronique grand-public, mais pratique pour repérer un riff ou un break). Ces outils aident, ils ne remplacent pas l’oreille.

    Structure simple et efficace

    Je me suis organisée autour d’une structure qui fonctionne à chaque fois. Elle facilite l’écriture et la lecture :

  • Accroche — une phrase-image ou une petite anecdote qui fait entrer dans l’univers.
  • Description — ce que le disque sonne, instruments, voix, ambiance.
  • Analyse — ce qui marche, ce qui surprend, les évolutions sur l’album.
  • Contexte — influences, label, démarche de l’artiste (si pertinent).
  • Verdict ciblé — pour qui est cet album ? À quel moment l’écouter ?
  • Ce format évite le fouillis et permet au lecteur de trouver facilement ce qu’il cherche. Le verdict n’est pas un « bon/mauvais » binaire mais une aide : je précise le public, la situation d’écoute (apéro, trajets, écoute concentrée) et le degré d’originalité.

    Parler de technique sans jargon

    Quand il faut évoquer un élément technique (mix, production, batterie, guitare), je remplace les mots savants par des images ou des comparaisons concrètes. Par exemple :

  • Au lieu de « la compression est excessive », j’écris « la voix est poussée en avant, comme si elle parlait dans un mégaphone ».
  • Au lieu de « la reverb est plate », je décris « l’espace sonne comme une petite salle humide, pas comme une cathédrale ».
  • Cela aide le lecteur à imaginer. Si j’emploie un terme technique, je l’accompagne d’une explication brève : « l’attaque de la caisse claire est courte (on sent le coup net, pas de traînée sonore) ». Pas besoin d’en faire un cours — juste une traduction en sensations.

    Questions que se posent souvent les lecteurs (et comment j’y réponds)

    QuestionRéponse type dans la chronique
    « À quoi ça ressemble ? »Comparaisons musicales et images sensorielles : « guitare granuleuse à la Nick Cave, chant fragile comme une veille radio ».
    « Est-ce original ? »J’explique si l’album réarrange des codes connus ou s’inscrit dans une continuité — et pourquoi cela compte.
    « Est-ce pour moi ? »Je précise le public cible : fans de post-rock nocturne, amateur·rice·s de punk lo-fi, etc.
    « Est-ce bien produit ? »J’indique si la production sert l’émotion ou la gêne — et donne un exemple concret (un passage où la production change l’impact).

    Les phrases qui fonctionnent

    Voici quelques tournures que j’utilise souvent, parce qu’elles disent beaucoup sans alourdir :

  • « Sur le papier, ça ressemble à…, mais à l’écoute, ça devient… »
  • « Le point fort ici, c’est… »
  • « Si vous aimez X, vous aimerez probablement Y — mais attention à Z. »
  • « Moment-clé : à 2:14, quand… » (utile pour ancrer une impression sur un passage précis)
  • Ces formules rendent la critique utile et transférable. Elles donnent au lecteur des repères concrets plutôt que des jugements vagues.

    Garder la sincérité — et assumer ses goûts

    Je dis ce que j’aime et pourquoi. Mais j’essaie aussi d’écouter le projet selon ses propres règles. Si un disque est volontairement lo-fi, je ne vais pas le réduire pour un manque de production; je vais juger si cette esthétique fonctionne. Dire « je n’ai pas accroché » est légitime, mais j’explique la raison : trop de redondance, voix qui m’échappe, absence de relief, etc.

    Exemples concrets — format court

    Plutôt que de rester dans la théorie, voici deux mini-extraits de chroniques que j’ai écrites (réinventés pour l’exercice) :

  • « L’ouverture vous attrape par le col : une basse ronde, une batterie qui claque et une voix qui susurre. Ce disque respire la nuit urbaine — pas de grandes envolées, mais une accumulation d’instants qui finissent par peser lourd. À écouter le soir, fenêtres ouvertes. »
  • « Ici, la production joue le rôle d’un personnage : elle colle des morceaux ensemble comme un collage. Parfois charmant, parfois maladroit, mais toujours honnête. Si vous aimez les disques qui sentent la colle et la réinvention, c’est pour vous. »
  • Trucs pratiques pour s’améliorer

    Quelques exercices que je recommande pour quiconque veut écrire des chroniques plus justes :

  • Tenir une « boîte à sensations » : trois mots pour chaque morceau après la première écoute (ex. : « crade, caressant, hallucinant »).
  • Écrire une chronique en 200 mots : ça force à être clair et à choisir l’essentiel.
  • Relire une chronique après 24 heures : souvent on corrige l’emportement ou on précise une image maladroite.
  • Lire d’autres chroniqueurs. Pas pour copier, mais pour repérer des façons de traduire le son en phrases.
  • Le ton : ni froid ni potin

    Je cherche un ton qui combine proximité et sérieux. On peut plaisanter, mais sans traiter la musique comme un sujet de ragot. J’évite l’excès d’ironie qui masque la pauvreté d’argument : si vous moquez, expliquez. Si vous encensez, dites pourquoi. Les lecteurs sentent vite l’authenticité.

    Écrire une chronique qui dit vrai, finalement, c’est accepter d’être un filtre humain : on traduit une sensation, on la met en mots, on oriente sans imposer. Ce n’est pas prétendre tout savoir, mais aider quelqu’un à choisir une prochaine écoute — et peut-être lui permettre de tomber amoureux·se d’un album qu’il n’aurait jamais découvert autrement.